Journées du patrimoine … et du matrimoine

Depuis 2021, Genève met en lumière la contribution des femmes à son héritage culturel à travers les Journées du matrimoine qui accompagnent les Journées européennes du patrimoine programmées en Suisse chaque deuxième week-end de septembre.

Lancement de la première édition des Journées du matrimoine à Genève en 2021 avec une table ronde. Aurore Evain, metteuse en scène, autrice, chercheuse et directrice de la Cie La Subversive, est à l’initiative des Journées du matrimoine en France, Pauline Nerfin, co-présidente de Patrimoine suisse Genève, Sarah Scholl, historienne à l’Université de Genève. Modératrice : Laurence Difélix, journaliste et productrice à la RTS. © Giona Mottura / Ville de Genève

Genève, pionnière en matière de valorisation de son patrimoine, inaugurait en 1994 la première édition suisse des Journées européennes du patrimoine (JEP). En 2021, elle décide de relayer une vision mixte et égalitaire de l’héritage en proposant pour la première fois en terre helvète une Journée du matrimoine. Elle rejoint ainsi les nombreuses initiatives portées à l’échelle européenne en la matière, depuis la toute première manifestation organisée à Lyon en 2003.

Coordonnée par l’Unité de conservation du patrimoine architectural et le Service Agenda 21-Ville durable de la Ville, en collaboration avec l’Office du patrimoine et des sites de l’Etat de Genève, cette initiative fait suite à une motion déposée au Conseil municipal en 2019. Forte du succès de sa première édition, l’évènement sera reconduit l’année suivante puis pérennisé dans l’offre culturelle genevoise au même titre que les Journées du patrimoine. Retenons aussi que 2023 marquera la reconnaissance de cette démarche au niveau national avec le soutien du Centre national d’information sur le patrimoine culturel (aujourd’hui Réseau suisse pour le patrimoine culturel) qui ancre la thématique matrimoine comme une des composantes des JEP.

Premières éditions et succès

Organisée de façon symbolique dans les murs de l’Hôtel Municipal, rebaptisé un an plus tôt Palais Anna et Jean-Gabriel Eynard, la première édition a débuté par une table ronde autour de la question centrale « Pourquoi une Journée du matrimoine ? » La rencontre a permis de poser les fondamentaux d’une réflexion nécessaire : le terme « matrimoine » est en effet loin d’être un néologisme. Réhabiliter cette notion, c’est prendre conscience de ce qui compose l’héritage et relever les biais qui ont créé des angles morts sur un pan de notre histoire. Des visites historiques et architecturales du Palais, des promenades guidées sur les traces des femmes qui ont marqué Genève ou encore un atelier sur les normes de genre dans l’espace public ont marqué le programme. Autre temps fort, la conférence sur Anna Eynard, fruit d’un travail de recherche mené pour l’occasion, a permis de mettre en lumière le rôle de bâtisseuse de cette illustre figure genevoise.

Fort de son succès, l’évènement est reconduit en 2022, cette fois sous la forme de visites intégrées au programme des JEP durant tout le week-end et en déclinant au féminin la thématique annuelle. Pour cette édition intitulée Temps libre, centrée sur les loisirs, une conférence sur l’histoire et les exploits des pionnières de l’alpinisme, un entraînement de course à pied inclusif au Centre sportif du Bout-du-Monde ou encore la projection en plein-air du film « Free to run », qui retrace l’histoire de l’émancipation des femmes à travers la course à pied sont notamment proposées au public. 2023 sera marqué par un engagement renforcé des partenaires institutionnels et associatifs ; toujours plus collaboratives, les Journées du matrimoine (JM) célèbrent ces partenariats avec une soirée de lancement et de présentation du programme dans les murs de La Collective¹. Appelé à un important chantier de rénovation, le bâtiment, devenu lieu central de cette édition, porte précisément les enjeux de la thématique annuelle Réemploi et recyclage. Soutenue par cette dynamique de la scène artistique et associative genevoise, l’édition 2024 a mis en lumière la richesse qu’ont constitué les Réseaux de femmes pour l’histoire de Genève en proposant des rencontres, des visites guidées et autres événements festifs et décalés.

Enjeux et perspectives

Depuis ces premières éditions au bout du lac, les Journées du matrimoine ont suscité un vif intérêt et d’autres villes et cantons se sont engagés pour valoriser la contribution des femmes à l’héritage culturel commun. Si cet engouement confirme le bien-fondé de l’initiative à l’échelle nationale, il reste encore du chemin à parcourir pour que l’existence du matrimoine soit reconnue au même titre que celle du patrimoine, tant dans les esprits des professionnelles et professionnels que du public. Alors, un brin patriarcales les Journées du patrimoine ? En intégrant le matrimoine au programme des JEP, Genève s’inscrit en faux contre cette idée et promeut une approche égalitaire et sans clivages de la transmission. Patrimoine et matrimoine font objectif commun ; comprendre l’incidence que peuvent avoir les structures patriarcales des sociétés dans la transmission permet ainsi de mieux s’en défaire. Les Journées du matrimoine visent à soutenir la diffusion de la recherche et le travail de réflexion mémorielle, non pas pour réécrire l’histoire, juste pour la compléter.